L’Irlande possède tous les atouts pour devenir un hub majeur du développement de jeux vidéo en Europe. Pourtant, malgré des années d’efforts, l’industrie peine encore à décoller sur l’île d’émeraude. Plongée au cœur d’un paradoxe qui interroge les acteurs du secteur.
Un terreau fertile mais sous-exploité
Sur le papier, l’Irlande coche toutes les cases pour attirer les studios de jeux vidéo : une main d’œuvre qualifiée et anglophone, un écosystème tech déjà bien implanté avec des géants comme Microsoft ou Google, une culture créative riche, et une position géographique idéale au cœur de l’Europe. Sans oublier une population de joueurs passionnés, avec plus de la moitié des Irlandais qui jouent régulièrement.
Pourtant, force est de constater que l’industrie du jeu vidéo irlandaise peine encore à percer sur la scène internationale. Malgré quelques success stories comme le studio Larian (Baldur’s Gate 3) ou des créateurs comme Sean Murray (No Man’s Sky), l’Irlande reste dans l’ombre de ses voisins européens en termes de production vidéoludique.
Un manque de visibilité criant
L’un des principaux freins au développement de l’industrie semble être le manque de visibilité à l’international. Contrairement à de nombreux pays européens, l’Irlande n’a jamais eu de stand officiel sur les grands salons comme la Gamescom ou la GDC. Une absence qui pèse lourd, comme l’explique Colm Larkin, CEO de l’IMIRT (Irish Game Makers Association) : « Nos jeux ont connu des succès à l’échelle mondiale, mais nous ne sommes pas doués pour en parler. »
Cette situation ubuesque a même conduit certains studios irlandais à exposer leurs jeux sur le stand britannique, faute de mieux. Un comble pour un pays qui cherche justement à s’affirmer face à son voisin d’outre-Manche.
Des mesures insuffisantes
Le gouvernement irlandais a bien tenté de stimuler le secteur, notamment avec l’introduction d’un crédit d’impôt pour les jeux numériques en 2022. Mais là encore, la mesure peine à convaincre. Trop restrictive et mal adaptée aux réalités du développement moderne, elle n’a été utilisée que par 16 entreprises à ce jour.
Les acteurs du secteur pointent notamment du doigt l’impossibilité de bénéficier du crédit pour les jeux développés en collaboration internationale, ou encore pour le contenu post-lancement. Des limitations qui excluent de fait une grande partie de la production actuelle, à l’heure des jeux service et du développement distribué.
Une communauté soudée mais frustrée
Malgré ces obstacles, la scène indépendante irlandaise reste dynamique et soudée. Des initiatives comme le FÍS Games Summit ou le récent NEXUS permettent aux développeurs locaux de se rencontrer et d’échanger. Des studios comme Enigma, Dreamfeel ou Gambrinous continuent de sortir des jeux remarqués, prouvant le potentiel créatif de l’île.
Mais la frustration est palpable face au manque de soutien institutionnel. Comme le résume Denman Rooke, artiste ayant travaillé pour plusieurs studios irlandais : « Il y a beaucoup de talent créatif ici, mais un réel manque de soutien pour les petites entreprises locales qui cherchent à se lancer. Je suis optimiste sur l’avenir de l’industrie et sa croissance, mais il y a encore beaucoup de travail à faire. »
Le réveil du tigre celtique vidéoludique ?
L’Irlande a tous les atouts en main pour devenir une terre d’accueil majeure pour l’industrie du jeu vidéo. Mais pour concrétiser ce potentiel, un changement de paradigme semble nécessaire. Une meilleure promotion à l’international, des mesures de soutien plus adaptées et une vraie stratégie gouvernementale pourraient enfin permettre à l’île d’émeraude de briller sur la carte du jeu vidéo mondial. Le récent changement de gouvernement suite aux élections de novembre 2024 pourrait être l’occasion de donner un nouvel élan à cette industrie prometteuse. Reste à voir si les nouveaux décideurs sauront saisir cette opportunité pour faire de l’Irlande le prochain eldorado du gaming européen.